Entrevue avec Katie Sykes sur les systèmes experts juridiques

par Thomas Cromwell

mai 2018

Katie Sykes

L’innovation peut être un élément déterminant pour améliorer l’accès à la justice. Mais notre profession n’a pas la réputation d’être à l’avant-garde de l’innovation. Il est donc encourageant de voir des signes que l’innovation est au cœur même de la formation de la prochaine génération d’avocats. C’est ce que j’ai constaté lors d’une visite à la faculté de droit de l’Université Thompson Rivers, à Kamloops (Colombie-Britannique), et en particulier dans un cours créé et donné par la professeure Katie Sykes.

Mme Sykes est une professeure agrégée qui a mis au point un cours intitulé Designing Legal Expert Systems (Concevoir des systèmes experts juridiques) où les étudiants en droit conçoivent des applications juridiques à l’aide d’un logiciel créé par Neota Logic, une entreprise de logiciels fondée par un groupe d’avocats férus de technologie. Les étudiants du cours conçoivent et développent des applications destinées à des organismes juridiques sans but lucratif qu’ils utiliseront à l’interne ou rendront accessibles à leurs clients. L’objectif est d’offrir des voies d’accès simples et conviviales à des solutions juridiques ainsi qu’un meilleur accès à la justice.

La professeure Sykes a accepté de répondre à quelques questions. Voici donc ce que j’ai appris.

TC : Parlez-moi un peu de votre expérience, de votre formation et de ce qui vous a amenée à donner un séminaire sur l’accès à la justice à l’UTR.

KS : Le premier cours portant sur les questions d’accès à la justice que j’ai enseigné était Lawyering in the Twenty-First Century (L’exercice du droit au XXIe siècle). L’idée maîtresse était le décalage entre l’apparent surplus d’avocats en même temps que le manque flagrant de services juridiques pour tant de gens. Comment peut-il y avoir (dans un certain sens) trop d’avocats en même temps que trop peu d’avocats? Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans le modèle d’affaires et la structure de la profession juridique pour en arriver là? Et quelles solutions novatrices la nouvelle génération d’avocats pourrait-elle trouver?

Le cours sur l’exercice du droit au XXIe siècle a mené à l’enseignement d’un cours sur la conception d’applications juridiques. En effet, plusieurs étudiants ont pensé à utiliser la technologie pour remédier au décalage observé en matière d’accès à la justice. En fait, une équipe a conçu une application de planification des procédures interlocutoires – requêtes et autres affaires judiciaires à régler hors procès, lesquelles peuvent prendre beaucoup de temps et être plutôt inefficaces. Il s’agissait là d’une solution simple et brillante. Ils ont obtenu l’aide d’un contact de l’un des membres de l’équipe. Cette personne pouvait effectuer le codage permettant d’établir un prototype d’application. Cette expérience m’a donné à penser, et aux étudiants aussi je crois, qu’il serait formidable de développer la capacité de créer nous-mêmes des systèmes comme celui-là.

C’est pourquoi j’étais très enthousiaste de découvrir qu’il était possible d’utiliser la plateforme Neota Logic pour développer des systèmes experts (essentiellement, des applications permettant d’automatiser l’expertise juridique), et que l’entreprise a créé un excellent cadre éducatif axé sur les applications destinées aux organismes bénévoles. Le logiciel nous permet de développer des solutions même si nous ne connaissons rien de la programmation.

TC : Parlez-moi du travail pratique que vos étudiants devaient effectuer pour concevoir et développer des applications juridiques et y avoir accès.

KS : Initialement, les étudiants, regroupés en équipes, ont travaillé sur quatre applications, dont une application de remplissage de formulaires de cour destinée à l’organisme RISE Women’s Legal Centre et qui intègre les étapes à suivre pour remplir une dizaine de formulaires de cour pour les dossiers de droit familial, ainsi qu’une application d’aide aux parties qui se représentent seules et qui souhaitent travailler avec des professionnels ouverts à offrir des services dégroupés ou de portée limitée, pour le National Self-Represented Litigants Project.

Cet automne, nous avons ajouté deux autres applications : un « génie » des documents pour la clinique juridique communautaire de l’UTR, qui aidera le personnel et les bénévoles de la clinique à remplir les documents couramment demandés, ainsi qu’une application visant à aider les utilisateurs de télécommunications mobiles qui veulent déposer des plaintes en vertu du Code sur les services sans fil, à l’intention du Centre pour la défense de l’intérêt public (Canada).

TC : Parmi les projets réalisés, y en a-t-il qui pourraient réellement améliorer l’accès à la justice dans la vie courante?

KS : L’objectif est que tous les projets aideront à améliorer l’accès à la justice dans la vie courante – soit en permettant aux avocats et au personnel qui œuvrent à titre bénévole d’exécuter les tâches répétitives plus rapidement, plus facilement et de façon adéquate, ou en fournissant de l’information et des outils directement au public. Nous n’en sommes pas encore arrivés au point où nos applications sont prêtes au lancement, mais nous espérons le faire dans un proche avenir.

TC : De toute évidence, vous voulez encourager l’innovation chez les étudiants en droit, et les mobiliser face au problème d’accès à la justice. Quelle est la réaction des étudiants?

KS : Ils sont formidables. Ils arrivent au cours et ne connaissent absolument pas la plateforme Neota. Quatre ou cinq semaines plus tard, ils développent une application simple dans le cadre d’un exercice de formation, et trois mois plus tard, ils doivent concevoir, développer et présenter de vraies applications en vue de résoudre des problèmes concrets. Bien sûr, ils utilisent leurs capacités de réfléchir à la façon d’un avocat, d’analyser et de résoudre des problèmes et de bien communiquer, mais ils le font d’une façon qui leur est totalement nouvelle. Il s’agit donc d’une courbe d’apprentissage abrupte.

De surcroît, ils doivent travailler efficacement en équipe et faire du bon travail avec les organismes pour lesquels ils développent les applications – en fait, leurs clients.

TC : Peut-on tirer de grandes leçons concernant l’approche que devrait adopter la profession pour résoudre le problème de l’accès à la justice?

KS : Des gens intelligents et à l’esprit novateur continueront de trouver des façons d’accomplir le travail juridique plus rapidement, plus efficacement et à moindre coût, non seulement dans le secteur bénévole, mais à tous les niveaux du marché juridique, et globalement, cela semble une bonne chose pour améliorer l’accès à la justice. J’aimerais que la profession encourage et facilite ce type d’innovation plutôt que de s’en méfier. Je pense que ce changement de cap commence à se produire dans certains milieux, mais lentement et de façon limitée.

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