La justice axée sur les personnes nécessite des données de qualité

par Andromache Karakatsanis

November 2022

À l’origine, cet article a été publié en anglais et en exclusivité par le Lawyer’s Daily (www.thelawyersdaily.ca), une publication de LexisNexis Canada Inc.

La justice est un besoin fondamental de l’être humain. Dans notre société hautement réglementée et complexe, les gens font face à des problèmes juridiques dans une multitude d’aspects de leur vie quotidienne. De nombreuses avenues différentes peuvent mener à un résultat équitable. Pour favoriser l’accès à la justice, il ne suffit pas de rendre notre système de justice moins coûteux, plus rapide et plus efficace. Bien que ces éléments fassent partie de la solution. Il faut continuer de mettre l’accent sur les personnes que le système sert et reconnaître que les tribunaux constituent une mesure de dernier recours et que la justice est souvent mieux rendue lorsque les questions juridiques sont tranchées sans avoir recours aux tribunaux.

Partout dans le monde, les secteurs de la justice tentent d’instaurer des systèmes de justice qui répondent aux véritables besoins juridiques des gens et qui leur permettent de participer efficacement au processus judiciaire.

Selon des enquêtes sur les besoins juridiques réalisées au cours des trente dernières années, le système de justice officiel répond à moins de dix pour cent des besoins juridiques.

L’accès à la justice axé sur les personnes tente de combler cette lacune. Pour que les services qu’offre le système de justice soient adaptés aux problèmes juridiques des personnes qui en ont besoin, il faut adopter une approche globale à l’égard du système de justice. Ainsi, l’accès à la justice axé sur les personnes vise à éliminer les obstacles auxquels beaucoup de personnes font face pour accéder à la justice, notamment les coûts, la complexité, le manque de compétences linguistiques, l’éloignement et la discrimination.

Au cours des dernières années, les secteurs de la justice du monde entier ont adhéré au concept de « justice axée sur les personnes ». Comme l’indique une récente étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : [traduction] « Un système de justice qui place les personnes au centre et dont l’objet et la conception visent à répondre de façon équitable aux besoins de toutes les personnes qui vivent sur un territoire donné en leur permettant de participer efficacement au processus. »

Cependant, le système de justice axé sur les personnes ne peut répondre aux besoins des personnes qu’il est censé servir sans cerner ce que sont réellement ces besoins et les obstacles qui l’empêchent d’y répondre. Pour cette raison, l’accès à la justice dépend des données; des données de qualité. Compte tenu de la perspective nécessairement large qu’il est nécessaire d’adopter pour faire en sorte que l’accès à la justice soit axé sur les personnes, l’information sur les problèmes juridiques et les obstacles auxquels sont confrontées les personnes est essentielle.       

C’est donc à travers de la quantification des enjeux qui s’impose aux justiciables que l’accès à la justice peut faire une réalité de ses nobles aspirations. Nous devons construire les idéals que nous promet l’accès à la justice plurielle sur une fondation solide de données empirique. Sinon, le tout risque de s’écrouler.

Malheureusement, le processus pour établir un tel fondement probatoire est lent et fragmenté. Au Canada et ailleurs, différents acteurs collectent des données variées à divers moments du processus judiciaire en fonction de leurs besoins, de leurs compétences et de leurs règles. La compilation de ces données pour en faire un tout cohérent, mais peut-être imparfait, est parsemée d’autres obstacles tels que la confidentialité et l’indépendance institutionnelle. Ce n’est pas suffisant pour l’accès à la justice axé sur les personnes. Son mandat large et inclusif ne peut être accompli que grâce à des données tout aussi larges et inclusives.

Cependant, il y a de plus en plus de raisons d’être optimiste. Cette année, durant la Semaine de l’accès à la justice, des méthodes pour accroître notre base de données probantes ont été mises en lumière, ce qui nous a permis de comprendre les besoins des personnes que le système de justice doit servir et d’adapter ses services en conséquence. De plus, notre capacité à comprendre cette information et à y donner suite s’accroît avec chaque nouvelle donnée. Grâce à notre base de données probantes toujours croissante, nous pourrons bientôt utiliser ces données pour servir les gens.

Le milieu de l’accès à la justice doit continuer ce travail. Ce n’est qu’en comprenant les besoins des personnes et les obstacles auxquels ils sont confrontés pour accéder à la justice que notre système peut apporter des solutions aux besoins juridiques quotidiens des personnes pour lesquelles il a été conçu. Des données et de l’information de qualité sont essentielles à l’atteinte de cet objectif. Il s’agit de la première étape pour éliminer les obstacles à la résolution efficace des conflits et remodeler le système de justice pour en faire une institution axée sur les personnes.

La juge Andromache Karakatsanis est la présidente du Comité d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale. Ancienne avocate du secteur privé, présidente de la Commission des permis d’alcool de l’Ontario et dirigeante au sein de la fonction publique, elle a été nommée à la Cour suprême du Canada en octobre 2011.

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