Nous avons tous un rôle à jouer : rapports Gladue

par Justice Michelle O’Bonsawin

Septembre 2020

À l’origine, cet article a été publié en anglais et en exclusivité par le Lawyer’s Daily (www.thelawyersdaily.ca), une publication de LexisNexis Canada Inc.

C’est un honneur pour moi que la très honorable Beverley McLachlin m’ait demandé d’écrire ce commentaire. J’écris sur un sujet qui me tient à cœur : l’utilisation des rapports Gladue dans notre système judiciaire. Les rapports Gladue constituent une partie importante de l’accès à la justice pour les personnes autochtones. Ils prévoient une participation plus significative des accusés autochtones au processus de détermination de la peine et, à ce titre, leur offrent, tant sur le plan de la procédure que sur le fond, une possibilité plus importante de faire entendre leur voix dans la détermination de la peine imposée. Cela devrait ensuite avoir une incidence positive sur la question de la surincarcération des Autochtones.

À titre de référence, les Autochtones du Canada représentent environ 4 % de la population canadienne totale. Malgré ce faible pourcentage, les Autochtones sont dramatiquement surreprésentés dans le système de justice pénale canadien. Les adultes autochtones représentent un quart des admissions dans les services correctionnels provinciaux et territoriaux. Dans le système correctionnel fédéral, ils représentent 20 % des adultes incarcérés. La surreprésentation est encore plus prononcée pour les femmes autochtones, qui représentent 38 % des admissions de femmes en détention après condamnation dans les provinces et territoires, et 32 % des incarcérations fédérales.

La prévalence de la criminalité impliquant des Autochtones est attribuable à la pauvreté généralisée, à la délocalisation, à la toxicomanie, aux maladies mentales et à la violence au sein des communautés. Le système des pensionnats est l’une des nombreuses sources de traumatisme intergénérationnel. La surincarcération des Autochtones est probablement le résultat de l’héritage du colonialisme et du racisme systémique.

La promulgation du projet de loi C-41 (alinéa 718.2e) du Code criminel) en 1996 a été l’aboutissement de plusieurs décennies de rapports commandés concernant la détermination de la peine et le système pénitentiaire au Canada. Les principes de Gladue découlant de l’alinéa 718.2e) du Code criminel exigent que les juges chargés de la détermination de la peine tiennent compte 1) des facteurs systémiques ou des antécédents uniques d’un délinquant autochtone, et 2) des types de procédures et de sanctions qui peuvent être appropriés à la lumière de l’héritage ou du lien autochtone du délinquant. En outre, le Parlement a très récemment modifié les dispositions du Code criminel relatives à la mise en liberté sous caution, en ajoutant l’article 493.2, qui exige que les juges accordent une attention particulière à la situation des « prévenus autochtones ».

Après l’entrée en vigueur de l’alinéa 718.2e) du Code criminel, sa signification précise n’était pas claire. Il n’y a eu aucun changement dans les pratiques de détermination des peines jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada rende sa décision dans l’arrêt R c. Gladue en 1999. La Cour suprême a décrit la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale comme une « crise » et un « problème social attristant et urgent ». Elle a conclu qu’en prévoyant expressément un traitement distinct des délinquants autochtones dans la détermination de la peine à l’alinéa 718.2e), le Parlement a ordonné aux tribunaux d’enquêter sur les causes du problème de la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice, et de s’efforcer d’y remédier.

Dans sa décision de 2012 R. c. Ipeelee, la Cour suprême a reconnu que, dans la décennie qui a suivi l’affaire R. c. Gladue, le problème de la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale a continué de s’aggraver. Selon la Cour suprême, une partie de l’échec à remédier à ce problème est imputable à l’incompréhension fondamentale et à la mauvaise application par les tribunaux inférieurs des motifs de l’arrêt Gladue. La Cour suprême a fait référence pour la première fois aux rapports Gladue dans cette décision. Il s’agit d’une pratique qui s’est développée de manière organique en raison du besoin des tribunaux inférieurs de disposer de ces informations.

Lorsque j’aborde ce sujet en conférence, je rappelle toujours que nous avons tous un rôle à jouer dans le processus relatif à l’arrêt Gladue. En tant que juge chargée de la détermination de la peine, je dois veiller à ce que les informations concernant la situation particulière d’un délinquant autochtone soient prises en compte. Le procureur de la Couronne et l’avocat de la défense doivent fournir une preuve à cet égard. Les avocats ont le devoir de présenter au tribunal des informations individualisées dans chaque affaire, à moins que le délinquant ne renonce expressément à son droit de les faire examiner. Lorsque l’avocat ne fournit pas cette preuve, je dois tenter de me renseigner sur 1) le délinquant en tant qu’autochtone, et 2) toute solution de rechange à l’incarcération disponible à l’intérieur ou à l’extérieur de la communauté du délinquant. La personne autochtone doit fournir des informations sur son origine autochtone. Nous devons également tenir compte de la situation historique du colonialisme, des déplacements et des pensionnats au Canada, et de la manière dont cette expérience se traduit par un niveau d’éducation plus faible, des revenus moins élevés, un taux de chômage plus élevé, des taux plus élevés de toxicomanie et de suicide, et des taux d’incarcération plus élevés pour les personnes autochtones.

Un rapport Gladue n’est pas seulement un rapport de détermination de la peine : c’est souvent la première étape de la guérison d’une personne autochtone. Il examine le passé, et prend en compte les facteurs systémiques et contextuels qui ont pu jouer un rôle dans la poursuite du délinquant devant les tribunaux. Plus précisément, un rapport Gladue aborde les micro-circonstances du délinquant, telles que sa communauté, sa famille et sa dépendance, en plus des macro-circonstances telles que le colonialisme et la discrimination. Cela permet au juge de prendre en compte la situation de l’individu dans le contexte de la discrimination systémique qui touche les peuples autochtones au Canada.

Même avec les conseils de la Cour suprême, nous continuons à nous efforcer d’appliquer les principes de l’arrêt Gladue. Nous devons nous poser plusieurs questions. Jouons-nous tous correctement notre rôle dans le système judiciaire? Quelles sont les conséquences de l’absence d’une utilisation appropriée des rapports Gladue? Y a-t-il d’autres domaines, tels que le droit de la famille ou le droit civil, dans lesquels des rapports de type Gladue pourraient être utiles?

Si nous travaillons tous ensemble de manière uniforme, j’espère que nous pourrons répondre à ces questions qui conduiront à un meilleur accès à la justice pour les personnes autochtones.

Madame la juge Michelle O’Bonsawin est une Abénakise, membre de la bande d’Odanak et la première juge autochtone nommée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario à Ottawa. Avant d’être nommée juge, elle était l’Avocate-générale au Groupe de soins Royal Ottawa et auparavant, Avocate à la Société canadienne des postes. Elle est régulièrement conférencière sur des questions liées au droit de la santé mentale, aux principes Gladue, au droit du travail et à la protection de la vie privée. 

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