Accès à la justice : ce qu’il devrait signifier au Nunavut | Victoria Perrie et Gloria Song

Que signifie l’accès à la justice au Nunavut? C’est un grand honneur pour nous d’être invitées par la très honorable Beverley McLachlin à contribuer à sa chronique. Nous profitons de cette occasion pour communiquer nos points de vue sur l’accès à la justice au Nunavut. Les opinions exprimées ici sont nos propres opinions et ne représentent pas celles de nos employeurs ou du Barreau du Nunavut. Elles sont fondées à la fois sur nos observations dans le cadre de notre travail dans le territoire et sur ce que nous avons appris des Nunavummiut (terme inuktitut qui signifie « résidents du Nunavut »). Nous discuterons des défaillances systémiques historiques et actuelles, du contexte actuel relatif à l’accès à la justice dans le territoire ainsi que des plans pour l’avenir.

Le 1er avril 1999, le Nunavut est devenu le ressort juridique le plus jeune au Canada, à la suite des négociations fructueuses de l’Accord du Nunavut. Les Inuits ont participé aux négociations de cet accord en vue de réaliser les aspirations à l’autodétermination. Au cours de ce processus, le Nunavut a hérité du système de justice existant des Territoires du Nord-Ouest, à savoir le système colonial imposé partout au Canada. Même s’il y a eu des tentatives louables de concevoir le système de justice de façon à mieux répondre aux besoins des Nunavummiuts, les déclarations des dirigeants inuits et d’autres personnes soulignent la manière dont le paysage juridique continue d’imposer un système de justice coloniale aux Inuits, tout en ne tenant pas suffisamment compte des systèmes de droit et des modes d’acquisition des connaissances inuites. L’accès à la justice au Nunavut entre en scène avec ces antécédents.

En 2011, un membre du Barreau du Nunavut a présenté une motion à une assemblée générale annuelle dans laquelle il a soulevé la question de savoir s’il y avait un nombre suffisant de professionnels du droit pour répondre aux besoins juridiques des Nunavummiuts. C’est ainsi que le premier comité sur l’accès à la justice du Nunavut a été mis sur pied pour étudier la question. Depuis lors, grâce à ce type de discussions, nous, les professionnels du droit non inuits avons appris davantage sur la façon dont l’accès à la justice constitue une question vaste dans le territoire, qui va au-delà des procédures judiciaires officielles et de la représentation juridique et qui est étroitement liée à d’autres secteurs de la société comme la santé, l’éducation et l’économie, lesquels sont tous touchés par l’histoire coloniale du Nunavut. Bien entendu, les Inuits savent depuis longtemps que ce système ne tient pas adéquatement compte de leurs traditions et de leurs cultures juridiques, ce qui entraîne des problèmes de justice importants qui continuent de renforcer le colonialisme.

Pour sa part, le Barreau du Nunavut a depuis lors déployé des efforts pour appuyer l’accès à la justice. Il a élargi considérablement ses programmes en vue d’y inclure la collaboration avec les collectivités afin d’organiser des ateliers d’éducation juridique publics et des cliniques bénévoles, d’offrir une formation aux avocats membres sur les connaissances culturelles inuites, de promouvoir une représentation inuite accrue dans la profession juridique et d’offrir des services en anglais, en Inuktitut et en français.

Récemment, le Barreau du Nunavut a entrepris un important projet d’accès à la justice en partenariat avec Pauktuutit Inuit Women of Canada afin de comprendre les obstacles et les besoins juridiques des femmes inuites qui sont confrontées à la violence familiale au Nunavut. Afin de briser le silence sur le problème généralisé de la violence familiale, l’équipe du projet s’est rendue dans les collectivités partout au Nunavut pour rencontrer les femmes qui ont vécu des expériences de violence familiale et leurs fournisseurs de services. Ces discussions nous ont permis de connaître l’existence de lacunes importantes en matière d’accès à la justice qui restreignent en fin de compte la pleine protection que promet la loi.

Les récits concernant les obstacles culturels et linguistiques dans les processus juridiques confirment l’existence d’un besoin urgent de services holistiques, axés sur les Inuits, adaptés à la culture et qui tiennent compte des traumatismes. Ce projet a mis en évidence le lien corrosif entre les traumatismes intergénérationnels et les problèmes sociaux, comme la violence familiale.

Nous estimons qu’il est grand temps que les politiques et les pratiques nuisibles établies au Nunavut soient éradiquées et remplacées par des cadres décoloniaux qui fonctionnent pour les Inuits. Beaucoup de points que Joshua Sealy-Harrington a soulevés dans sa contribution de mars 2021 à cette chronique semblent véridiques pour le Nunavut, surtout ses mots [TRADUCTION] « nous devons toujours mettre l’accent sur, non seulement la façon dont nous avons accès à la justice, mais, plus fondamentalement, sur la vision de la justice à laquelle nous aspirons. »

L’accès à la justice au Nunavut doit être compris et poursuivi dans le contexte du colonialisme et des objectifs inuits d’autodétermination. Les modalités d’accès à la justice et les types de justice accessibles à l’avenir doivent être établis en partenariat avec les Inuits et dirigés par ces derniers. Les lois inuites et les systèmes de justice traditionnels dans l’Inuit Nunangat (les quatre régions inuites du Canada) depuis des temps immémoriaux, dont la grande partie continue d’être absente du système opérationnel, doivent être appliqués de manière appropriée dans le système juridique. On nous a dit comment la justice à laquelle les Nunavummiuts ont actuellement accès en est une dans laquelle les Inuits considèrent que leurs valeurs, leur culture et leurs pratiques ne sont pas suffisamment prises en compte. Les discussions sur ce que l’accès à la justice signifie au Nunavut doivent aborder ces antécédents pour élaborer un système acceptable qui fonctionne, qui tient compte de la justice inuite et qui appuie l’autodétermination des Inuits.

Il y a un travail important à faire sur l’accès à la justice au Nunavut. La recherche, l’écoute et l’apprentissage font tous partie de l’autoréflexion et du travail nécessaires pour être avocat ici, afin de comprendre nos rôles en tant que professionnels du droit, de créer un accès réel à la justice et d’appuyer l’autodétermination des Inuits. Ce travail a déjà commencé, et même si nous sommes loin du but, nous sommes encouragés par les nouveautés prometteuses, dont les 21 diplômés récents du Nunavut du Programme du droit du Nunavut, dont la plupart sont des Inuits. Une autre nouveauté est le poste récent d’avocat en matière d’accès à la justice à l’Aide juridique Nunavut. L’objectif de ce poste est d’établir des liens avec les personnes, les familles, les collectivités, les hameaux, les organisations et les Aînés partout au Nunavut.

Grâce à ces consultations, nous espérons entendre directement la justice à laquelle les collectivités souhaitent avoir accès et la façon dont nous pouvons appuyer de nouvelles initiatives et rendre les systèmes en place accessibles pour l’instant et créer des changements à long terme. En apprenant directement des Inuits et en collaborant directement avec eux, nous espérons créer un espace propice à un processus de transformation visant à décoloniser le système opérationnel actuel et à poursuivre la réforme du droit axée sur l’Inuit Qaujimajatuqangits (savoir traditionnel) et le droit traditionnel.

Victoria Perrie et Gloria Song sont les coreprésentantes du Barreau du Nunavut en matière d’accès à la justice. Victoria Perrie est avocate métisse et crie qui travaille à titre d’avocate criminelle et en matière d’accès à la justice à l’Aide juridique Nunavut tout en poursuivant une maîtrise en droit international (L.L.M.) à l’University of East London. Après avoir travaillé à Kangliqiniq (Rankin Inlet) pendant deux ans, elle fait la transition vers la grande ville d’Iqaluit. Mme Perrie étudie les questions de genre, de droits de la personne, de la primauté du droit et de politique publique et la poésie dans le cadre de son travail national et international. Gloria Song a travaillé pendant plus de dix ans dans le domaine de la recherche et de l’éducation juridique publique en matière d’accès à la justice, de développement international et des droits de la personne. Elle a été avocate spécialisée dans la lutte contre la pauvreté pour la Commission des services juridiques du Nunavut, alors qu’elle était basée à Iqaluktuuttiaq (Cambridge Bay), au Nunavut. Elle est actuellement consultante en projet pour le Barreau du Nunavut et analyste en affaires internationales à Savoir polaire Canada, et appuie la mise en œuvre par le Canada des traités diplomatiques en sciences polaires. Mme Song est également une candidate au doctorat en droit à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, et ses recherches doctorales portent principalement sur l’accès à la justice et la précarité en matière de logement au Nunavut.

Previous
Previous

Un chaleureux au revoir, Chronique sur l’accès à la justice | Beverley McLachlin

Next
Next

C'est la semaine #A2J au Canada ! C'est une raison de célébrer.