Améliorer l’accès à la justice grâce aux tribunaux non professionnels de proximité

By Jérémy Boulanger-Bonnelly

June 2023

À l’origine, cet article a été publié en anglais et en exclusivité par Law360 (www.law360.ca/), une publication de LexisNexis Canada Inc.

Nos tribunaux civils sont en déroute. La juge en chef de la Cour supérieure du Québec, l’honorable Marie-Anne Paquette, a récemment déclaré que dans le système de justice, « tout tient avec du duct tape ». Les justiciables doivent parfois attendre plusieurs années avant que leur action soit instruite, même lorsqu’il s’agit de petites créances. Et quand une affaire se rend à procès, le processus apparaît bien souvent impersonnel et aliénant, particulièrement pour les personnes non représentées. Alors que notre système de justice est reconnu à juste titre comme étant l’un des plus compétents et indépendants au monde, son inaccessibilité nuit à son efficacité. 

Et s’il existait une meilleure manière de régler les affaires civiles simples et mineures? Dans la présente chronique, je souhaite mettre en lumière le modèle des tribunaux non professionnels de proximité, qui a permis d’améliorer la justice civile dans d’autres pays et qui est fort prometteur dans le contexte canadien.

Un aperçu des tribunaux non professionnels

Présents dans plus de vingt pays, les tribunaux non professionnels permettent à des personnes sans formation juridique de résoudre des différends mineurs à temps partiel. Étant donné que ces tribunaux sont habituellement composés de bénévoles ou de personnes recevant de minimes allocations, ils nécessitent moins de ressources que les tribunaux professionnels. Ils peuvent donc être mis en place en plus grand nombre, ce qui les rend plus accessibles à l’échelle locale. De plus, les tribunaux non professionnels transforment le processus judiciaire. Dans plusieurs pays, il a été démontré qu’ils rendent la justice plus facile à comprendre et plus accueillante pour les justiciables, et adoptent un processus qui répond mieux à leurs besoins.

Ce modèle n’est pas nouveau. En Angleterre, depuis des décennies, des magistrats non professionnels (« lay magistrates ») sont chargés de la résolution d’une variété de litiges en droit de la famille ainsi que de la plupart des affaires pénales. Étant actuellement plus de 12 000 bénévoles à occuper cette fonction, les magistrats non professionnels sont présents dans toutes les communautés. Ils siègent en formation de trois magistrats au moins treize jours par année, offrant un forum accessible pour la résolution des différends mineurs.

Plusieurs études ont démontré que les magistrats non professionnels contribuent à l’accès à la justice d’au moins trois manières. Premièrement, le simple fait qu’ils règlent environ cinq millions d’affaires civiles par année permet de réduire les délais, y compris devant les tribunaux professionnels, qui peuvent alors se consacrer aux affaires plus complexes. En outre, ils contribuent à réduire les coûts, puisqu’il a été démontré que les magistrats non professionnels coûtent jusqu’à 50 % moins cher que leurs homologues professionnels.

Deuxièmement, les magistrats non professionnels sont plus proches des communautés qu’ils desservent et dans lesquelles ils vivent, ce qui les rend non seulement plus accessibles, mais aussi plus légitimes. Comme l’ont fait observer différents politiciens, ils sont [traduction] « les piliers de l’administration de la justice à l’échelle locale » et représentent « un triomphe du bénévolat et du localisme ».

Troisièmement, il a également été démontré que les magistrats non professionnels améliorent le processus judiciaire. Des études ont confirmé que la population les considère comme légitimes en raison non seulement de leur proximité à la communauté, mais aussi de leur plus grande accessibilité pour les personnes non représentées. Ils utilisent un langage moins technique et consacrent plus de temps à chaque dossier afin de générer de meilleures interactions interpersonnelles avec les parties et les témoins.

Les tribunaux non professionnels en tant que vecteur pour une résolution des différends axée sur la personne

Cet exemple illustre comment les tribunaux civils non professionnels peuvent offrir un meilleur accès à la justice et contribuer à l’efficacité de notre système de justice. Il s’inscrit également dans la récente tendance du mouvement mondial d’accès à la justice vers une justice axée sur la personne.

Adoptée par une multitude d’acteurs juridiques au Canada et à l’étranger, la justice axée sur la personne cherche à placer les besoins juridiques des parties au cœur des interventions de la justice. Elle met de l’avant des services juridiques qui sont accessibles, qui redonnent le pouvoir aux personnes et qui répondent à leurs enjeux multidimensionnels. Puisque la plupart des problèmes juridiques surgissent dans la vie quotidienne, la justice axée sur la personne favorise d’abord des interventions locales et communautaires.

Les tribunaux non professionnels, comme les magistrats non professionnels britanniques, correspondent à cette conception de l’accès à la justice. En plus de rendre la résolution des différends plus accessible à l’échelle locale, ils mettent en œuvre des processus plus souples et répondent donc mieux aux besoins et aux réalités des justiciables. De plus, les tribunaux non professionnels soutiennent l’autonomisation – un concept clé de la justice axée sur la personne – puisqu’ils redonnent le pouvoir non seulement aux justiciables, mais également aux membres de la communauté, de sorte que ces derniers deviennent partie intégrante du processus judiciaire. De manière générale, les tribunaux non professionnels peuvent parvenir à axer notre système de justice davantage sur la personne, si tel est notre objectif.

Qu’en est-il des professionnels?

Les tribunaux non professionnels sont également confrontés à des défis importants. Une préoccupation souvent soulevée prétend que le fait de confier la résolution de certains différends à des non-juristes pourrait créer une justice de deuxième ordre. Après tout, comme le soutiennent les tenants de cet argument, comment une personne sans aucune formation en droit peut-elle rendre une décision fondée sur le droit?

Cette préoccupation quant à la compétence des juges non professionnels est légitime, selon le type d’affaires. Un non-juriste ne possède pas les compétences nécessaires pour rendre une décision dans une affaire complexe, mais il sera parfaitement compétent pour trancher des questions juridiques simples. Prenons l’exemple d’une personne qui a prêté 500 $ à son voisin et qui cherche maintenant à se faire rembourser. Cette affaire ne requiert guère plus que l’application des principes généraux en matière d’inexécution de contrat. Pourquoi aurions-nous besoin de professionnels du droit ayant des dizaines d’années d’expérience pour régler ce genre de litiges? La clé, ici, est de mettre en œuvre un système de triage – comme il existe, par exemple, en Angleterre – pour veiller à ce que les tribunaux non professionnels ne s’occupent que des affaires qui correspondent à leur niveau de compétence.

Il existe d’autres moyens de soutenir le travail des tribunaux non professionnels, notamment grâce à des formations ou au soutien de conseillers formés en droit, comme c’est le cas en Angleterre. De plus, bien entendu, les cours supérieures devraient pouvoir contrôler, dans une certaine mesure, les décisions des tribunaux non professionnels, comme elles le font, par exemple, avec les décisions des tribunaux administratifs. Grâce à ces mesures de protection, les tribunaux non professionnels peuvent offrir un service plus accessible dans le cadre d’affaires civiles simples, et ce, sans diminuer la qualité de la justice.

Je tiens à préciser que les tribunaux non professionnels ne visent pas à remplacer les autres tribunaux. Ils constituent plutôt une solution complémentaire permettant de régler des différends mineurs qui surgissent dans la vie de tous les jours. Bien que les tribunaux non professionnels ne régleront pas à eux seuls la crise d’accès à la justice, l’expérience vécue par d’autres pays donne à penser qu’ils peuvent améliorer la situation. Si nous souhaitons vraiment créer un changement, nous devons faire preuve d’audace et envisager cette avenue et d’autres solutions semblables.

Jérémy Boulanger-Bonnelly est boursier Boulton et nouveau professeur adjoint à la Faculté de droit de l'Université McGill. Ses recherches portent sur l'accès à la justice civile et sur le rôle de la participation non professionel dans les systèmes judiciaires. Il a précédemment travaillé comme auxiliaire juridique à la Cour suprême du Canada et comme avocat spécialisé dans les litiges civils. Parallèlement à ses recherches, il continue de représenter bénévolement des clients dans des affaires constitutionnelles.

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