Une justice accessible grâce aux programmes en droit d’intérêt public des facultés de droit

Octobre 2023

par Dana Rotenberg

À l’origine, cet article a été publié en anglais et en exclusivité par Law360 (www.law360.ca/), une publication de LexisNexis Canada Inc.

C’est un honneur pour moi d’avoir été invitée par l’honorable Andromache Karakatsanis à rédiger une chronique sur le lien entre l’accès à la justice et l’éducation juridique. Alors que les étudiant(e)s en droit de tout le pays commencent leur année universitaire, il est certainement opportun d’explorer ce sujet. 

Dans un contexte où des besoins essentiels et persistants ne sont pas satisfaits dans le domaine du droit, la valorisation des capacités et de l’enthousiasme des étudiant(e)s en droit qui sont désireux d’acquérir une expérience pratique et d’avoir un impact positif fait entrevoir une myriade de possibilités d’améliorer l’accès à la justice. Grâce à des programmes innovants et participatifs de cliniques juridiques, les étudiant(e)s en droit aident les client(e)s et les communautés qui font face à des obstacles d’accès à la justice, et ce, en jouant des rôles variés dans pratiquement tous les domaines du droit. Bien que les retombées soient peut-être plus évidentes pour les client(e)s qui reçoivent un soutien et pour les étudiant(e)s en droit qui le leur fournissent, j’aimerais me pencher brièvement sur la vaste question de la façon dont les programmes d’intérêt public des facultés de droit contribuent à la création d’une pratique plus humaine et mieux préparée à favoriser l’accès à la justice. 

J’ai le privilège d’occuper le poste de directrice nationale d’Étudiant(e)s pro bono du Canada (EPBC). Par l’intermédiaire de sections réparties dans 22 facultés de droit canadiennes et dirigées par des étudiant(e)s, EPBC forme et positionne des étudiant(e)s en droit bénévoles de manière à renforcer les capacités des organismes communautaires au service des personnes faisant face à des obstacles à la justice, le tout sous la supervision d’avocat(e)s et de notaires bénévoles. Le bureau national d’EPBC administre également le Centre de justice familiale et est associé à la Fédération des centres d’amitié autochtones de l’Ontario (Ontario Federation of Indigenous Friendship Centres-OFIFC) pour la gestion du programme des droits de la personne des peuples autochtones. 

EPBC a créé une communauté sans cesse croissante d’anciens élèves et de partenaires qui s’engagent à promouvoir nos valeurs fondamentales de dignité, d’équité et d’humilité. Nous sommes particulièrement reconnaissants de pouvoir compter sur le soutien constant du juge en chef Richard Wagner. Pour souligner son dévouement remarquable, EPBC a lancé en son honneur en 2019 le Prix du juge en chef Richard Wagner afin de reconnaître les étudiant(e)s bénévoles de partout au pays qui se démarquent en incarnant les valeurs d’EPBC.

Lors d’une cérémonie de remise de prix organisée l’année de l’inauguration du programme, le juge en chef a déclaré :« [...] lorsqu’il s’agit de l’accès à la justice, il ne suffit pas d’ouvrir la porte : nous devons inviter les gens à entrer. Nous avons besoin de gens d’action, qui donneront de leur temps et de leur énergie, et qui inciteront la communauté juridique à sortir de sa zone de confort ». C’est cette étape cruciale, bien que souvent négligée, qui consiste à inviter les gens à entrer, que les programmes en droit d’intérêt public des facultés de droit préparent les futurs juristes à franchir. Lorsque des étudiant(e)s en droit formés et supervisés travaillent auprès des client(e)s (en particulier ceux issus de communautés historiquement marginalisées) à ce stade formateur de leur carrière en droit, ils ont une occasion unique d’observer de près les limites et les barrières créées et perpétuées par le droit et par nos systèmes juridiques. Grâce à une sensibilisation accrue et à une formation rigoureuse (comme nous le verrons plus loin), ces étudiant(e)s entreprendront leur pratique du droit armés d’outils qui leur permettront de remanier les méthodes et les politiques historiquement exclusives et inéquitables, ce qui se traduira par une profession plus adaptée, susceptible de servir le public de manière plus ciblée et plus efficace.

Les programmes participatifs en droit d’intérêt public offerts par les facultés de droit présentent plusieurs caractéristiques qui, selon moi, permettent aux nouveaux avocat(e)s et, par extension, à la pratique juridique, de promouvoir activement un accès inclusif à la justice. J’évoquerai brièvement deux de ces caractéristiques, en faisant référence à la manière dont EPBC les applique dans le cadre de son travail.

 

L’accent mis sur le renforcement des capacités

Comme c’est le cas pour de nombreux programmes en droit d’intérêt public des facultés de droit, EPBC reconnaît le besoin essentiel d’aller au-delà d’une formation axée uniquement sur les connaissances approfondies et d’inclure des occasions de renforcer les capacités et les compétences, de manière à combattre les inégalités systémiques. Pour faciliter cette évolution, nous créons des opportunités d’apprentissage pour nos étudiant(e)s et notre réseau étendu. Durant l’année en cours, ces séances ont porté sur la lutte contre l’oppression, les visions du monde autochtones et le savoir-faire culturel, l’expression et l’identité de genre, la pratique du droit tenant compte des traumatismes, l’alliance authentique, les obstacles à la justice et à la pratique du droit, l’autogestion de la santé et la gestion du stress.

Une formation complémentaire est également proposée aux étudiant(e)s en droit bénévoles de l’EPBC par les organisations communautaires avec lesquelles nous travaillons, dans le but de leur transmettre des connaissances propres au projet et de les inciter à s’engager dans leur travail (qu’il s’agisse d’interactions directes avec les client(e)s, d’éducation juridique publique ou d’initiatives basées sur la recherche) de manière éclairée, empathique et productive. Parmi ces possibilités de formation, citons les séances sur le savoir-faire culturel trans, la sensibilisation aux réalités culturelles, l’identité de genre et la diversité sexuelle, ainsi que l’humilité et l’empathie culturelles.

Afin de fournir des services juridiques efficaces, il est essentiel de comprendre comment certains groupes sont ou ont été confrontés à des inégalités systémiques et de savoir comment s’engager en tant qu’allié sincère et sérieux. Si l’on ne participe pas à une formation continue qui va au-delà des connaissances juridiques et procédurales fondamentales, il existe un risque réel de perpétuer les préjudices, tant dans les relations avec les client(e)s qu’au niveau de la profession dans son ensemble. Il est fondamental d’inculquer aux étudiant(e)s en droit l’importance d’une évolution constante et d’un renforcement actif des capacités pour créer une profession dont la mission est de servir les client(e)s et la communauté de manière réactive et donc efficace.

Dans le même ordre d’idées, il est encourageant de constater l’évolution du cursus des facultés de droit, qui comprend désormais des cours et des séminaires allant au-delà du droit fondamental, ce qui permet aux étudiant(e)s d’acquérir des connaissances et des compétences leur permettant d’accroître leur capacité à lutter efficacement contre les disparités en matière d’accès à la justice. Ces propositions (ainsi que la multitude de programmes cliniques ou participatifs existants dans le domaine du droit d’intérêt public) attribuent une valeur à cet apprentissage, lequel promeut l’importance du renforcement des capacités comme composante essentielle de la compétence et du professionnalisme juridiques.

 

Encourager l’humilité

Les efforts déployés par EPBC pour renforcer les capacités sont ancrés dans l’une de nos valeurs fondamentales : l’humilité. Nous entendons par humilité le fait de reconnaître la sagesse des communautés que nous servons et de veiller à ce que leurs expériences vécues guident notre travail. À ce titre, nous donnons la priorité à l’écoute, à l’apprentissage et à la réflexion. Cette approche est complémentaire au concept de « justice centrée sur les personnes », qui repose sur l’engagement actif des personnes qui sont confrontées à des obstacles pour l’accès à la justice, afin de s’assurer que leurs besoins sont compris, qu’ils sont notre priorité et qu’ils sont à la base même des objectifs de la justice et des mesures qui en découlent.

Les programmes en droit d’intérêt public des facultés de droit mettent souvent l’accent sur l’importance de la « pratique réflexive », en particulier dans le contexte de la prestation de services aux communautés historiquement marginalisées. La pratique réflexive aide les étudiant(e)s en droit à réfléchir de manière critique à leurs expériences et à aborder leur travail avec curiosité, ouverture d’esprit, empathie et humilité. Cette introspection critique est essentielle pour promouvoir une profession dont les acteurs considèrent l’expérience vécue comme un élément essentiel, augmentant notre capacité à fournir des services juridiques accessibles.

Chez EPBC, nous valorisons la collaboration avec nos partenaires communautaires afin de nous assurer que nos programmes répondent aux besoins des collectivités que nous voulons servir. Pour s’engager de manière utile, il faut reconnaître qu’il y a beaucoup à apprendre et que les connaissances et l’expérience de chacun sont nécessairement limitées. Bien que cette approche puisse créer un certain malaise (en particulier dans l’environnement des facultés de droit), c’est précisément ce malaise qui stimule la croissance et qui favorise une philosophie de la pratique juridique accordant de la valeur à l’écoute, à l’apprentissage et à la réflexion. De cette manière, nous nous efforçons de promouvoir une pratique juridique réactive, compatissante et susceptible d’offrir un accès réel à la justice.

Non seulement les programmes participatifs en droit d’intérêt public ont des effets immédiats sur la vie des client(e)s, mais ils contribuent également à la capacité de nos professionnels d’« inviter les gens à entrer », en formant de futurs leaders, défenseurs et alliés qui abordent le métier d’avocat(e) avec humilité et avec un désir d’apprentissage perpétuel. Je suis sans cesse inspirée par le dévouement et l’engagement des étudiant(e)s en droit qui, à la suite de leurs stages, remettent en question les systèmes qui perpétuent les inégalités dans l’accès aux services juridiques. Avec chaque nouvelle cohorte d’étudiant(e)s qui se lancent dans la profession, dotés de ces compétences et de cette conscience (de soi), mon optimisme quant à notre capacité à réduire les inégalités en matière de justice grandit.  

Dana Rotenberg (elle/il) est la directrice nationale de Pro Bono Students Canada, dont la mission est de fournir un soutien juridique gratuit aux personnes et aux communautés confrontées à des obstacles à la justice grâce à l'engagement des étudiants en droit. Dana s'est jointe à PBSC en 2020 en tant que gestionnaire de la programmation en droit de la famille. Elle a dirigé le développement et le lancement du Centre de justice familiale, une clinique juridique virtuelle unique en son genre qui tire parti des compétences et de l'enthousiasme des étudiants en droit et des avocats bénévoles pour fournir des services cruciaux aux Ontariens qui font face à des obstacles en matière d'accès à la justice.

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