Fragilité et résilience : Les leçons de 2020 et les possibilités de 2021

par Beverley McLachlin

Janvier 2021

À l’origine, cet article a été publié en anglais et en exclusivité par le Lawyer’s Daily (www.thelawyersdaily.ca), une publication de LexisNexis Canada Inc.

On pardonnera facilement l’emploi d’hyperbole dans la rédaction d’une chronique sur l’année qui vient de s’écouler. L’année 2020 et le début de 2021 ont représenté une période d’extrêmes historiques, et en grande partie négatifs, dans le paysage de la santé, de l’environnement et de la société. Nous avons été éprouvés, tant sur le plan personnel que celui des institutions, d’une manière que la plupart d’entre nous n’auraient pas pu imaginer auparavant.

Et ce n’est toujours pas fini! En effet, à bien des égards, nous sommes à l’apogée du défi. Nous nous sentons fragiles. Nous devons trouver le courage de maintenir le cap. Nous pouvons le faire en nous penchant sur les leçons de 2020 et en nous rassurant sur le fait que, malgré tout ce que l’année 2020 nous a lancé, nous, en tant qu’individus et en tant que communauté, avons fait preuve d’une résilience remarquable.

Le système judiciaire, comme d’autres secteurs de la société, a été profondément touché par les expériences de 2020. La pandémie a amplifié la fragilité du processus d’administration de la justice pour les Canadiens, tant dans le secteur civil que criminel. Par nécessité, les tribunaux et une myriade de fournisseurs du système de justice ont été amenés à faire un tri et à apporter des solutions rapides pour servir les personnes les plus à risque – celles qui étaient en détention et celles qui étaient en danger, tout en luttant pour maintenir une sorte de service continu. Il n’y avait rien de positif, mais cette situation a forcé un changement pour mieux utiliser des plateformes technologiques dans la prestation de la justice et confronter les anciens lieux communs, comme l’idée que les comparutions en personne sont nécessaires dans tous les cas et la notion que chaque document doit être déposé physiquement dans un registre.

Non seulement la pandémie a-t-elle rendu le fonctionnement du système judiciaire plus difficile, mais elle a aussi nui aux affaires qui devaient être traitées. La pandémie a exacerbé la violence familiale et la maladie mentale. Elle a également marginalisé les personnes qui sont déjà défavorisées sur le plan social, ce qui a accru la pression sur les cours et les tribunaux pour qu’ils rendent des décisions en matière de bien-être social et de logement. Elle nous a aussi montré les limites de la technologie. Si vous n’avez pas un minimum de connaissances numériques, n’êtes pas propriétaire d’un iPad ou d’un ordinateur ou ne pouvez pas vous connecter parce que vous n’habitez pas dans une ville, le dépôt électronique et les audiences en personne ne vous aideront probablement pas.

La pandémie a révélé les failles de notre système judiciaire, nous forçant à prendre en compte nos approches au service des principes fondamentaux de la justice et pour nous assurer que chacun puisse avoir accès à la justice. Elle nous a montré que la technologie peut être utilisée de multiples façons pour aider à améliorer la justice. Elle nous a montré qu’un système hermétique peut innover. Elle nous a aussi montré que nous devons faire en sorte que tous les Canadiens soient branchés sur la façon électronique de communiquer qui est la nouvelle norme. Nous nous sommes réorientés, nous avons innové. Nous ressortirons sûrs que malgré les problèmes auxquels nous sommes confrontés, nous pouvons innover pour rendre le système judiciaire plus accessible lorsque tout cela sera derrière nous.

Enfin, le système judiciaire a prouvé qu’il pouvait survivre et continuer à rendre justice dans des circonstances défavorables. Le système est fondamentalement sain, la primauté du droit est sûre. Avec difficulté, les gens continuent d’avoir accès à la justice. Oui, beaucoup de travail nous attend. Cependant, la justice demeure un rempart de la société canadienne. C’est la leçon la plus importante que nous pouvons tirer dans le secteur de la justice de l’année 2020.

Pour ma part, j’aborde 2021 en toute confiance. Notre système judiciaire est solide, mais il continuera d’être éprouvé en 2021. Nous devrons être ouverts, intelligents et dynamiques dans la reconstruction de ce qui a été endommagé et le redémarrage pour surmonter les retards. Il nous faudra éviter les réactions à court terme et procéder plutôt à des évaluations à long terme, fondées sur des données. Nous devrons constamment nous rappeler de nous concentrer sur deux questions. Premièrement, de quoi les gens ont-ils besoin? Deuxièmement, comment pouvons-nous faire en sorte que le système fonctionne de façon à répondre à ces besoins? Et en répondant à ces questions, nous devons penser non seulement à 2021, mais aux années futures.

Les changements qui apporteront des réponses à ces questions dépendront du soutien de l’opinion publique et de la volonté politique. Pour y parvenir, nous devons faire en sorte que l’accès à la justice s’insère dans la conversation nationale, tout comme celle portant sur les soins de santé et l’économie. Cela ne sera pas facile, puisque la survie physique et économique occupera l’intégralité de l’attention du grand public. Toutefois, nous savons qu’à long terme nous ne pourrons pas avoir de rétablissement économique et de bien-être personnel sans un système judiciaire solide en mesure de rendre la justice en temps opportun, de manière efficace et équitable.

La très honorable Beverley McLachlin a été juge en chef du Canada de 2000 à la mi-décembre 2017. Elle travaille maintenant comme arbitre et médiatrice au Canada et à l’étranger. Elle siège à titre de juge à la Cour commerciale internationale de Singapour et au Tribunal d’appel de dernière instance de Hong Kong. Elle préside le Comité d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale.

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